Entreprises à mission, raison d’être : retour sur la Matinale de Réseau Alliances

Vendredi 16 avril, Réseau Alliances proposait une nouvelle Matinale dédiée à l’entreprise à mission. Sandrine Conseiller, CEO de l’entreprise Aigle et Elisabeth Laville, fondatrice d'Utopies, sont venues partager leurs témoignages.

210416 laville conseillerjpgLes sociétés à mission ont été créées en France par la loi Pacte. Il s’agit d’un nouveau statut juridique : l’entreprise doit y inscrire une raison d’être ainsi qu’un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux. Elle prône l’égalité entre la performance économique et le bien commun. Il existe à ce jour 160 sociétés à mission en France. L’entreprise Aigle fait partie des 10% d’ETI et grands groupes à avoir choisi ce statut. La marque de 1600 collaborateurs, créée en 1853 et connue pour ses bottes, a franchi le cap en février 2021. « Depuis notre création, nous proposons des produits durables à partir d’une matière naturelle, le caoutchouc » explique Sandrine Conseiller CEO de l’entreprise depuis 2019. Dès son arrivée, elle est missionnée par les actionnaires pour « réveiller la marque » et se penche sur les fondements de l’entreprise. « Un historien de la mode nous a raconté notre histoire. Aigle a toujours proposé un textile pour durer. La philosophie de la marque a toujours été, depuis sa création, de permettre aux clients de sortir, de vivre une expérience, tout en restant élégant ». L’entreprise élabore sa raison d’être dans cette lignée : « permettre à chacun de vivre pleinement des expériences sans laisser d’autres empreintes que celles de ses pas ». Plusieurs objectifs sont établis, notamment celui de pousser l'écoconception ou de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 46 % d'ici à 2030, dans la lignée de l’Accord de Paris.

Entreprises à mission : de la nécessité de former à celle de respecter le rythme de chacun

Pour aboutir à cette transformation, Sandrine Conseiller décide de renforcer les actions déjà existantes et travaille pendant un an, de manière collective, avec ses équipes. « Nous avons ouvert un site de seconde main, nous avons relocalisé la production des bottes pour enfants en France, nous avons travaillé sur une trajectoire carbone maitrisée. La loi Pacte est assez engageante, elle offre de la lisibilité à notre engagement pour les clients et les parties prenantes. Ce qui a fait basculer les actionnaires, c’est que c’est inerrant à la stratégie, ce n’est pas en plus. À court terme, produire de manière non vertueuse est plus rentable, il faut que l’actionnaire en soit conscient. Mais ce sont des décisions rentables sur le temps long. Chez Aigle, il n’y a pas de direction RSE, tout le monde s’empare de ce sujet. Cette vision est à tous les niveaux de l’entreprise. C’est ce qui la rend pérenne car elle n’est pas liée à une équipe dirigeante » souligne la CEO. Pour embarquer l’ensemble des collaborateurs, l’entreprise propose des formations pour que chaque employé puisse s’impliquer et se saisir des sujets. « Comme le soulignait Elisabeth Laville, s’engager, c’est s’exposer. Nous avons beaucoup communiqué dans la presse corporate et nous avons reçu un accueil très positif. Nous avons également formé l’ensemble de nos collaborateurs, notamment l’équipe commerciale. Ceux en lien avec nos parties prenantes ont du temps pour expliquer notre engagement. Nous avons eu le cas d’un partenaire, proposant nos produits dans ses magasins, qui trouvait la démarche intéressante et qui nous a demandé des conseils. Pour les commerciaux en boutique, en lien direct avec le client final, il fallait aussi les former et trouver une façon très rapide d’expliquer notre engagement. » Car l’entreprise se transforme vite « nous sommes passés de 10% de produits écoconçus à 45/50% d’ici l’été 2022. Il y a des collaborateurs très engagés mais il faut que tout le monde soit embarqué à son rythme. C’est également le rôle du dirigeant de maintenir cet équilibre au sein de l’entreprise ».

Aller au-delà du "business as usual" pour sa raison d'être 

La loi Pacte introduit un comité de mission, organe de surveillance distinct des autres organes sociaux. Il est composé d'au moins un salarié. « Chez Aigle, le comité se réunit 4 fois par an et vérifie la bonne marche des objectifs. Il nous alerte si l’on dévie. Les membres ont été choisis pour leurs complémentarités et leurs pragmatismes. Il nous fallait des personnes engagées, qui allaient nous secouer avec bienveillance ». Siègent à ce comité des personnalités comme Yann Arthus Bertrand qui préside la fondation GoodPlanet, Elisabeth Laville, fondatrice d'Utopies, Guillaume Gibault, fondateur du Slip français et très impliqué dans le made in France, Pierre-François Le Louët président de NellyRodi et de France Industries Créatives, Maëva Bessis, Directrice générale de la Caserne, un incubateur dédié à la mode durable ainsi que Pierre-André Maus, actionnaire du groupe éponyme dont Aigle appartient. L’entreprise à mission a été un levier : « ça porte et cela questionne sur tous les sujets, environnementaux, sociaux etc… » souligne Sandrine Conseiller « Quand les clients achèteront leurs produits chez nous, chez Faguo ou le Slip Français et pas dans la fast fashion, nous aurons réussi à développer nos marques, tout en étant plus vertueux pour demain ». Un avis que partage Elisabeth Laville, pour qui la raison d’être et plus largement la société à mission « boostent l’engagement. C’est assez facile à mettre en place : il faut déterminer une raison d’être, des objectifs et les inscrire dans les statuts. Nous verrons dans le temps comment ces entreprises à mission se comportent et voir ce qui se transforme ». La fondatrice d’Utopies souligne également quelques points essentiels pour devenir entreprise à mission : « il faut intégrer le plus possible le business pour éviter d’avoir des tensions. Il y a besoin d’un soutien de l’actionnaire car cela prend du temps de transformer une entreprise. Il faut communiquer en permanence. Ensuite, la raison d’être de la raison d’être, c’est de ne pas décrire ce que l’on fait déjà, le business as usual. Elle doit annoncer la façon dont l’entreprise veut transformer son activité pour transformer positivement la société et l’économie. Pour les jeunes entrepreneurs, le conseil que je pourrai donner est de ne pas attendre pour mettre l’engagement dans son ADN. Il faut d’emblée travailler sur sa mission et sur les pratiques : les racines et les ailes. La loi Pacte, comme B Corp, offrent un super format mais ce n’est pas une fin en soi. C’est le début de quelque chose ! ».

Pour aller plus loin

Photos : Elisabeth Laville à gauche (© Philippe Zamora), Sandrine Conseiller à droite (crédits : DR)