Les transféreurs : émergence de nouvelles pratiques environnementales au sein des entreprises

210210 transfertOn les appelle les transféreurs. Depuis quelques années, de nouveaux comportements émergent au sein des entreprises : importer des pratiques environnementales entre son domicile et son travail. Et inversement. Un sujet de plus en plus prépondérant : selon une enquête menée par Harris Interactive pour l’ADEME et A4MT, 86% des salariés français se considèrent comme transféreur. « Ce ne sont pas juste des collaborateurs qui réalisent des écogestes au travail mais des personnes qui cherchent à faire évoluer l’organisation pour favoriser la diffusion de pratiques écologiques. Ce sont des activistes en quelque sorte » explique Gaëtan Brisepierre, sociologue et coauteur, avec Anne Desrues, d’une enquête sur le sujet. Près d’un transféreur sur deux dit d’ailleurs avoir cherché à convaincre des collègues (46%), un manager (25%) et des membres de la direction (20%). « C’est un mécanisme de changement social et d’innovation qui a déjà été à l’œuvre dans les années 1980 avec l’essor des technologies de l’information. Vous aviez, par exemple, une personne qui poussait l’entreprise à utiliser le mail ou les tablettes ou des personnes qui utilisaient l’ordinateur sur leurs lieux de travail et qui l’importaient au sein de leur foyer. Ce phénomène s’applique aujourd’hui sur les questions environnementales ».

 

❝ Ce qui peut bloquer, c'est la diffusion dans l'organisation. Les transféreurs font cela en dehors de leurs activités professionnelles. La bonne volonté, le temps dégagé ne suffisent plus.❞ 
Gaëtan Brisepierre

 

 Trois étapes pour "transférer"

Le transfert se fait via un processus en trois étapes : la première est liée à l’engagement d’un salarié, à un éveil individuel. « L’entreprise peut aussi fournir un déclic à travers des événements comme des conférences sur le climat, des concours d’innovation, une mise en valeur comme des Trophées ». Le transfert peut ensuite s’opérer si, et seulement si, un groupe se forme et s’investit avec le transféreur. « On voit des groupes autour du vélo ou du covoiturage, un autre qui anime un concours autour de l’énergie, d’autres qui agissent sur le tri des déchets. Mais c’est vraiment l’action d’un petit groupe de volontaires issus de différents services qui va être le carburant. C’est l’étape centrale. Ensuite, ce qui peut bloquer, c’est la dernière étape, à savoir la diffusion dans l’organisation. On voit que le relai a du mal à se faire avec l’ensemble des services qui peuvent généraliser les pratiques. On est également sur quelque chose d’amateur, les salariés font cela en dehors de leurs activités professionnelles. Pour vraiment diffuser, la bonne volonté, le temps dégagé ne suffisent plus » souligne le sociologue. 

Le transfert des pratiques environnementales : pas toujours capté par l’organisation

210210 transfert lampe articleSelon Harris Interactive, les comportements les plus « transférés » concernent la réduction ou la valorisation des déchets (42% des transferts à partir du travail vers le domicile), les économies d’énergie (37%) et la réduction de l’impact du numérique sur l’environnement (33%). L’alimentation, la mobilité, la consommation sont aujourd’hui moins concernés. Si ces chiffres sont encourageants, ils sont cependant bien plus élevés dans le sens domicile- travail : 62% pour la réduction ou la valorisation des déchets, 62% pour les économies d’énergie et 52% pour la réduction de l’impact du numérique sur l’environnement. Alors comment encourager ces comportements ? « Dans les PME, l’écoute du chef d’entreprise est importante. Dans les grandes sociétés, les déclarations des dirigeants peuvent aussi être un appui, car ça permet de légitimer, auprès du middle management notamment, certaines actions. Ce que nous avons remarqué, c’est que ces actions passaient parfois hors des radars de la RSE. Les transféreurs agissent à un petit niveau et ne cherchent pas forcément à communiquer. La RSE peut donc avoir un rôle de coach en les aidant à généraliser leurs pratiques, en prenant le relai et en fournissant des ressources » ajoute Gaëtan Brisepierre. Un dernier point important : pour 39% des salariés interrogés lors de l’enquête d’Harris Interactive, les principaux obstacles aux transferts observés sont matériels et logistiques.

Le soutien de l'organisation, condition de réussite

De nombreuses actions pourraient également aider les transféreurs et favoriser l’adoption de nouvelles pratiques environnementales : l’installation d’infrastructures comme des poubelles de tri sélectif, des douches, un parking à vélos… (34% indiquent que leur entreprise le fait déjà ; 54% estiment que ce serait pertinent que leur entreprise le fasse), et en second lieu le fait de prendre des décisions qui inciteraient les collaborateurs à adopter ce type de comportements, comme par exemple supprimer les gobelets en plastique. Le soutien de l’organisation apparait ici comme décisif.

Ressources

Informations complémentaires

Le projet TRANSPHERES est un projet de recherche et d’expérimentation soutenu par l’ADEME en réponse à l’appel à projet de recherche “Transitions écologiques, économiques et sociales” qui s'intéresse aux changements des comportements, des pratiques de consommation et des modes de vie dans ces transitions. Il implique 4 partenaires : l’IFPEB, Gaëtan Brisepierre, le laboratoire de psychologie sociale EPSYLON et Delphine LABBOUZ, psychosociologue associée au LAPPS. L’étude se base sur une enquête de terrain auprès de 17 « transféreurs » qui ont fait l’objet d’un entretien approfondi en face à face sur leur lieu de travail. Ce projet s’est déroulé sur 2 ans, dès novembre 2017. Une enquête menée par Harris Interactive pour l’ADEME et A4MT a ensuite été réalisée entre aout et septembre 2020.