Loi Pacte : 14 recommandations pour développer et crédibiliser les sociétés à mission

Essaimer, crédibiliser et se projeter au niveau européen : Brice Rocher, PDG du groupe Rocher a remis au Gouvernement, le 19 octobre dernier, un rapport sur la Loi Pacte. Deux ans après sa promulgation, il propose 14 recommandations pour amplifier la dynamique autour des sociétés à mission.

 

En mai 2021, le ministère de l’Économie a commandé un rapport sur le bilan et les perspectives de la loi Pacte auprès de Brice Rocher. Promulgué en 2019, le texte introduit la notion de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux, la possibilité d’inscrire une raison d’être dans ses statuts et la qualité de société à mission. « Lors des travaux parlementaires, ces trois dispositifs ont été décrits comme formant les trois étages d’une même fusée, impliquant un engagement crescendo de la part des sociétés » souligne le rapport mais « si l’engouement pour ces nouveaux modèles de gouvernance a été fort, un franc et massif basculement vers eux n’a pas eu lieu. Peu d’ETI ou de grands groupes ont franchi le pas de la société à mission, et si la moitié des sociétés du CAC 40 a défini sa raison d’être, peu l’ont inscrite dans leurs statuts ». Une des premières causes identifiées par le rapport est la difficulté d’appréhender la notion de « prise en considération » des enjeux sociaux et environnementaux. Si de nombreuses sociétés ignorent purement et simplement son existence, d’autres s’interrogent sur sa portée concrète. Le rapport préconise ainsi de « rédiger un guide de bonnes pratiques sur les modalités de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans le processus de décision des organes sociaux des sociétés à destination des TPE et PME, associant la CPME, le MEDEF, les organisations syndicales de salariés, les CCI… ». En parallèle, Brice Rocher propose d’accélérer les actions de formation et de sensibilisation, poussant pour un déploiement fort du dispositif de la société à mission en région. Pour ce faire, le PDG de Rocher propose de s’appuyer sur les réseaux professionnels locaux et sur les établissements scolaires qui forment les dirigeants de demain.  

 

Crédibiliser pour lutter contre le purpose washing

Les auditions menées lors de la préparation du rapport ont également fait ressortir une inquiétude autour du risque de « purpose washing » ou d’accusation de purpose washing autour des dispositifs de raison d’être inhérents à la société à mission. Brice Rocher propose plusieurs mesures pour crédibiliser la démarche. Parmi les recommandations énoncées, le conditionnement d’une fraction de la rémunération variable (avec une cible minimale de 20 %) des salariés et des dirigeants d’entreprises à des critères extra-financiers objectifs en lien avec la raison d’être. Brice Rocher soumet la même recommandation pour les objectifs d’intéressement, proposant intégrer systématiquement ces mêmes critères, là encore avec une cible minimale de 20 %. Selon lui, « le suivi et l’atteinte de ces objectifs permettent à la fois de motiver et récompenser les équipes tout en améliorant le coût de financement de l’entreprise ». Autre recommandation : la publication d’une déclaration de performance extra-financière (DPEF) par les sociétés à mission, un caractère « essentiel » pour les crédibiliser. Si la déclaration de performance extra-financière est actuellement obligatoire pour les sociétés de plus de 500 salariés, la législation européenne devrait la rendre obligatoire pour les entreprises de moins de 250 salariés à l’horizon 2025. Le rapport recommande ainsi de rendre obligatoire la publication d’un rapport de durabilité selon les standards simplifiés annoncés pour le 31 octobre 2023, qui devraient être applicables à partir de 2027 sur l’exercice 2026. Brice Rocher propose également, « dans le cadre de la proposition législative de la Commission européenne sur la gouvernance durable d’entreprise, de consacrer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux au niveau européen et d’inciter toute société européenne à se doter d’une raison d’être ». Rappelons qu’entre 200 et 300 entreprises ont adopté le statut d’entreprises à mission et que 500 000 salariés français travaillent désormais pour ce type de structure.

 

Pour consulter le rapport : ici

 

Les 14 propositions énoncées dans le rapport :

ESSAIMER : plusieurs leviers peuvent être activés pour une appropriation la plus large possible des nouveaux dispositifs issus de la loi Pacte

1. Rédiger un guide de bonnes pratiques sur les modalités de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans le processus de décision des organes sociaux des sociétés à destination des TPE et PME, associant la CPME, le MEDEF, les organisations syndicales de salariés, les CCI…

2. Multiplier les actions de sensibilisation et de formation sur les dispositifs de raison d’être et de société à mission en mobilisant les réseaux professionnels en relation directe avec les PME et ETI, par une approche de pair à pair, ainsi que la Communauté des entreprises à mission, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et Bpifrance notamment.

3. L’État actionnaire devrait : (i) poursuivre les efforts engagés afin de mettre en œuvre des raisons d’être dans les entités directement éligibles ; (ii) s’assurer que dès qu’un vecteur peut être utilisé, il le soit, pour proposer une raison d’être dans un établissement public ; et (iii) développer des indicateurs de suivi de la raison d’être avec les entités. L’État actionnaire pourrait également encourager ses participations, notamment celles dotées de missions de service public, à s’interroger sur la pertinence de la qualité de société à mission.

4. Inviter les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) à se doter d’une raison d’être.

5. Étendre les articles L. 210-10 à L. 210-12 du Code de commerce aux sociétés civiles et aux groupements d’intérêt économique. Étudier l’extension de cette qualité aux associations.

6. Pour le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, émettre une circulaire à destination des greffiers pour homogénéiser les conditions de déclaration de la qualité de société à mission.

7. Etablir un lien direct entre le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et la Communauté des entreprises à mission pour croiser les fichiers de sociétés à mission et obtenir le décompte le plus à jour et fiable possible.

CRÉDIBILISER : le risque perçu de purpose washing nécessite de crédibiliser les dispositifs de la raison d’être et de la société à mission

8. Pour les sociétés dotées d’une raison d’être, la décliner dans la stratégie de la société et la conduite opérationnelle de ses activités. Recommander que les sociétés dotées d’une raison d’être statutaire rendent compte une fois par an à leurs actionnaires de l’apport de la stratégie mise en oeuvre et des résultats correspondants à la raison d’être.

9. Conditionner une fraction de la rémunération variable (cible minimale de 20 %) des salariés et dirigeants d’entreprises à des critères extra-financiers objectifs en lien avec la raison d’être.

10. Obliger les sociétés à mission à publier, à partir de 2027 sur l’exercice 2026, un rapport de durabilité selon les standards de durabilité simplifiés du Groupe consultatif européen sur l’information financière (EFRAG) dans le cadre de la proposition de directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD).

11. Réaffirmer le rôle du conseil d’administration et/ou des instances dirigeantes dans la gouvernance de l’entreprise et préciser le rôle du comité de mission dans la perspective d’une interaction plus collaborative avec les organes de gestion et d’administration.

12. Clarifier le champ d’intervention de l’organisme tiers indépendant (OTI) par la publication de l’avis technique et de l’avis motivé type de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et du guide méthodologique de l’Association française de normalisation (AFNOR). Encourager les entreprises à lancer des appels d’offres pour le choix de leur OTI et travailler à la déconcentration du marché.

SE PROJETER : lever les freins au développement du fonds de pérennité, consacrer l’obligation de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux au niveau européen et inciter toute société européenne à se doter d’une raison d’être, et progresser vers une comptabilité intégrée.

13. Exonérer de droits de mutation à titre gratuit les apports de titres de sociétés au fonds de pérennité. À défaut, instaurer un régime de report d’imposition des droits de mutation à titre gratuit et clarifier les conditions d’applicabilité du pacte Dutreil aux personnes morales réalisant des apports.

14. Dans le cadre de la proposition législative de la Commission européenne sur la gouvernance durable d’entreprise, consacrer la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux au niveau européen et inciter toute société européenne à se doter d’une raison d’être.