Bore-out : former, informer, sensibiliser

C’est un sujet dont on parle peu et qui pourtant, existe bel et bien en entreprise : l’ennui au travail, plus connu sous le terme de bore-out (bore signifiant ennui en anglais). Véritable souffrance psychique, elle est imputable au manque de sollicitation durant l’activité. Rencontre avec Sophie Delannoy, psychologue du travail au SSTRN.

 

Si peu d’études existent à son sujet, le bore-out toucherait plus d’un Français sur deux, selon un questionnaire du Figaro datant de 2019. « En termes de statistiques, c’est un phénomène difficilement quantifiable, car il est lié à un sentiment de honte pour la personne en situation de bore-out. Le travail est une identité sociale : s’il est déjà difficile d’aller voir son manager pour lui dire que l’on a trop de travail, cela l’est encore plus lorsqu’il s’agit de dire qu’il n’y en a pas assez. Si j’ose dire que je manque de travail, je passe pour une personne sans ambition » explique Sophie Delannoy. Il existe plusieurs causes au bore-out, à commencer par le savoir-faire. « Il est possible de rencontrer des personnes trop compétentes pour leur poste, qui ne seront pas stimulées par leurs missions. D’autres seront parfaitement qualifiées, mais rencontreront une sorte de plafond de verre au bout d’un certain temps et cela altérera leur motivation ».

Le bore-out peut également être lié à une réorganisation du travail dans un service. « Le problème ne vient pas forcément du poste, qui peut être préservé, mais de sa substance. Il se peut que les nouvelles missions n’aient pas été clairement expliquées. La place d’un salarié n’est peut-être pas encore identifiée. Cela devient un vrai problème si la situation perdure. Dans une réorganisation, il faut expliquer le sens du changement ». Autre cause du bore-out : le placard libéré, où le salarié est libéré de toute contrainte et traçabilité de son travail. « C’est le cas des cadres au forfait, qui manquent de cadre justement : ils peuvent faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent, sans rendre de compte, et sans forcément savoir ce que leur poste apporte à l’entreprise. Il y a une baisse du sentiment d’appartenance à l’entreprise et d’identité de métier. Il existe également un autre placard, lié à un manque de rattachement de hiérarchie clair et où le contenu des missions n’est pas identifié. C’est le cas de certains chargés de mission par exemple ».

 

Le bore-out est une vulnérabilité 

Pour les salariés en situation de bore-out, si le meilleur conseil reste celui d’aller en parler à son manager, certains élaborent des stratégies : rationalisation du travail, espacement et étalement dans le temps des missions. D’autres ramènent le personnel au travail. « Quand on arrive au bout de ces stratégies, car elles ne peuvent pas durer dans le temps, la personne va s’enfoncer ». Quant au manager, plusieurs signes peuvent alerter. « Il va avoir beaucoup de fatigue et de la dépression quand cela s’installe dans le temps. On observe aussi une baisse du présentiel : rallonge des pauses, bavardage avec les collègues. Certaines personnes vont essayer de s’accaparer le travail des autres, je pense notamment aux services qui ont une boîte mails commune ».

Comme pour toutes les vulnérabilités, les leviers actionnables sont la formation, l’information et la sensibilisation. « Il ne faut pas avoir peur d’en parler : même si ce n’est pas agréable de savoir qu’un salarié n’a pas assez de travail et est payé à ne pas faire grand-chose, cela peut être positif pour l’entreprise. Si la situation est déjà installée, il faut que le manager puisse faire un point avec le salarié. Cela sous-entend un style management ouvert, sans accusation, sans culpabilisation. Car si la personne n’a rien à faire, ce n’est pas parce qu’elle ne veut pas ; et si c’est le cas, c’est un autre problème et ce n’est pas du bore-out ; mais bien parce qu’elle ne peut pas » ajoute Sophie Delannoy. Le SSTRN propose à ses adhérents une cellule d’écoute aux salariés pour les accompagner dans leur problématique. L’écoute, externe ou interne, est ainsi primordiale, quelle que soit la vulnérabilité. « Dans le cas du bore-out, il faut que le manager et le salarié redéfinissent le champ des compétences, voir si une réorganisation est possible. Peut-être que le salarié a développé d’autres compétences extraprofessionnelles qui peuvent aussi servir pour un autre service ».

Si le burn-out nécessite un arrêt maladie, il est à exclure pour le bore-out. « Le travail ne va pas revenir après 15 jours d’arrêt ». Il est également possible de favoriser la formation. « Un salarié partira forcément s’il s’ennuie trop longtemps mais pas forcément s’il est formé pour apporter de nouvelles compétences à l’entreprise. Ce qu’il faut, c’est expliquer en quoi les compétences sont importantes pour l’entreprise ». Car quelle que soit la vulnérabilité, c’est bel et bien le sens qui doit être au cœur du travail.